Les chroniques d’une plume noire.
Si seulement j’avais su…
Le passé ne nous convient que rarement. Il y a toujours un petit détail, un simple grain de sable, qui nous fait regretter certaines choses. Et, à nos heures perdues, pensifs, ressassant les souvenirs, on se dit « si seulement j’avais su… ». Ça nous arrive à tous.
Et même à lui. Il est comme tout le monde, il pourrait être n’importe qui. Ça pourrait être vous, comme moi. Et lui aussi pensait. Lui aussi regrettait. Il considérait les choses d’une manière très spéciale. Quand il était la proie d’un problème très complexe, il pensait et se disait « si seulement j’avais su….j’aurais fait ainsi… ». Il rêvait secrètement de changer le vécu. Comme un livre, dont on peut écrire et ré écrire les pages. Il voulait être l’auteur de son présent, l’écrivain de son avenir, le correcteur de son passé. Oui, voilà. Cette image lui allait parfaitement bien. Lui qui aimait tant les livres. Qui considérait sa propre vie comme un livre, dont il tournait les pages, jour après jour, sans jamais pouvoir les ré ouvrir. Il souhaitait pouvoir les revoir, ces pages, et, à l’aide d’une plume, en corriger les erreurs.
Un jour qu’il arpentait les rayons d’une bibliothèque, il tomba nez à couverture avec un livre. Un étrange livre. Rouge, bordures dorées, avec un titre, en gros. Et ce titre, aussi épatant que cela puisse paraître, c’était « Ma vie ». Bien évidemment, notre amoureux de la lecture était très intéressé par un livre portant ce titre. En guise de synopsis, la simple phrase « Ré écrivez, tant que vous le pourrez». Il l’ouvrit, et, surprise, le livre était à moitié plein. 50 pages étaient déjà écrites, 50 étaient vierges. Sans surprise pour vous, je peux vous déclarer que ces 50 pages étaient en réalité le récit de sa vie, jusqu’au moment où il trouvait le fameux ouvrage. Il l’emprunta, et rentra chez lui.
Il n’en croyait pas ses yeux. C’était toute sa vie qui défilait, page après page, devant lui. Mais avec une grande différence, il pouvait revenir en arrière quand il le voulait. Changer tout ce qui lui plaisait, revivre les moments de joie, rayer les moments de tristesse.
Une note était glissée, juste entre la 50ème et la 51ème page. « Servez-vous des pages vides pour corriger vos erreurs, et effacer vos regrets. Ecrivez le numéro de la page à corriger, puis l’événement à changer. ».
Rien de plus simple. Alors il commença. Il corrigeait tout, tout ce qui avait pu le blesser, tout ce qui lui avait occupé trop longtemps l’esprit. Tous ces événements durs qui, en réalité, étaient si simple à éviter, il était en train de les sortir de sa vie, un à un. Son souhait se réalisait. Il ne regretterait plus jamais rien.
Au bout de quelques heures, il avait corrigé un détail sur quasiment toutes les pages. Plus qu’une page vierge, la 100ème. Plus qu’une page non corrigée, la 50ème, comprenant la découverte du livre. Il était tard, il décida d’aller se coucher. Après tout, la dernière correction pourrait attendre demain.
Oui mais voilà, il avait changé son passé. Il avait tout bouleversé, et la nuit allait lui reconstruire sa vie, comme lui-même l’avait ré écrite. Toutes ces erreurs se corrigeaient, ce qui, bien sûr, changeait également le cours d’autres vies. Dans la pénombre d’une nuit sans lune, le temps avait été changé. Dans le silence d’un rêve nocturne, les regrets disparaissaient.
Et quand il se réveilla le lendemain, il fut surpris de découvrir qu’il était allongé dans un pré, ancien emplacement de sa maison. En effet, il avait corrigé le fait qu’il se dispute avec sa colocataire, donc plus besoin de se faire construire une maison. Il regardait sa main : une bague au doigt. Mais bien sûr, cette fameuse colocataire était également sa petite amie. Et comme ils ne s’étaient pas disputés, de fil en aiguille, ils avaient fini par se marier. En fouillant dans sa poche, il avait retrouvé le badge de son ancien travail. Qui, maintenant, était son travail actuel, puisqu’il avait également rectifié la petite erreur qui lui avait fait le perdre.
Il se rendit donc à son appartement, avec sa femme, et son travail. Il avait beaucoup de choses à rattraper, puisque cette vie qu’il vivait, il n’en connaissait rien. Il avait seulement corrigé les erreurs, mais personne, personne excepté le destin, ne pouvait prévoir quel chemin sa vie allait alors prendre.
Et en effet, une fois rentré dans son appartement, il surprit sa femme en plein adultère. Il ne chercha pas à comprendre, sorti en fureur, et regretta de ne pas être arrivé quelques minutes plus tôt, pour empêcher cet autre homme d’entrer. Il se dirigea vers son travail, espérant y trouver réconfort.
Comble du malheur, il se fit sévèrement réprimander par son patron, car il n’avait pas rendu un dossier à temps, un dossier pourtant très important, qui devait être terminé le jour même. Comment aurait il put le savoir ? Il se fit renvoyer, et regretta de ne pas avoir su que ce dossier devait être rempli.
Il fut donc obligé de quitter sa femme. De se trouver un autre travail. Il se fit donc construire une petite maison, dans un pré. Elle était bien agréable, il se sentait chez lui. En y rentrant, un soir, il fut surpris d’y constater, là, sur la table, posé grand ouvert, un livre. Un livre ouvert à sa 100ème page. Une page blanche, qui attendait d’être remplie. Il se saisit alors de la plume, qui gisait là, encore humidifiée par un peu d’encre. Et sur cette dernière page, il écrivit : n°50. « Il regretta d’avoir loué le livre, et le rapporta, sans même prendre le temps de l’ouvrir ».
Ainsi s’achève l’histoire de cet être, qui pourrait être n’importe qui. On regrette tous le passé. Mais on oublie souvent que ces choix, ces problèmes, ces douleurs, ce sont eux qui ont forgés notre vie actuelle. On oublie souvent que l’on regrettera toujours, à un moment ou à un autre, et que ces regrets sont là pour nous apprendre des leçons, et nous faire avancer.
Maintenant c’est à vous de décider.
Auriez-vous changé le passé, si vous aviez su ce qui vous attendait ?