Prologue Ah! J’ai mal aux yeux ! J’ai encore franchi la porte cette nuit ! Mais cette fois mon corps souffre moins ! Quoique je ne pense pas pouvoir bouger le moindre petit muscle. J’ouvre, je ferme les yeux, je respire, ce sont les seules choses dont je suis capable. Quelqu’un m’a mis dans mon lit, je ne sais pas qui, peut-être elle… J’essaie de m’endormir, mais c’est dur, je ressens encore les coups de poing dans mon ventre, la douleur qui me pénétre par tous les pores de ma peau, le sang qui coule de mes lèvres. Que ce goût est amer et difficile à supporter! Mon orgueil en a pris un coup ! Je reprends mon souffle, et je ferme les yeux à nouveau en pensant à mon passé, à cette première fois… C’était un vendredi 13.
I
L’anneau du changement
Comme chaque vendredi je me levai tôt, je déjeunai, c’était un face à face entre mon bol de céréales et moi. Une fois prêt et emmitouflé avec manteau, écharpe et compagnie, je marchais tête baissée en direction du bus. J’habitais au numéro 21, rue de la Lune, dans une petite ville fleurie. Malgré le fait que ce soit plutôt paumé comme coin, une ligne de bus passait juste à côté de chez moi. J’étais le premier à monter, alors ce n’était pas compliqué de trouver une place confortable où je pouvais me rendormir.
Malheureusement, dix arrêts plus loin, il y avait toujours quelqu’un pour se mettre à côté de moi. On en trouvait pour tous les goûts : de la vieille qui se serrait et qui avait une odeur de cornichon, au vieux qui empestait l’alcool en passant par le jeune tombé dans un parfum « viril » qui me faisait monter les larmes aux yeux.
Je savais que je n’étais pas un garçon très agréable qui sourit à longueur de journée et qui plaît aux filles par son côté mystérieux. Alors je redoutais le moment où elles s’asseyaient à côté de moi tout en me dévisageant. Je pouvais presque les entendre penser « C’est qui ce plouc! Il ne prend même pas un minimum soin de lui avec son jean déchiré et ses cheveux mal coiffés… » Bref j’étais peu apprécié. Mais ce jour-là elle entra dans le bus, son visage entouré d’une grosse écharpe laissait apparaître un sourire magnifique qu'elle destinait au chauffeur, avec un « bonjour » en guise de salutation. Cette entrée aurait pu être parfaite si elle ne s’était pas entravée dans l’escalier puis cognée la tête contre une barre en fer. Rouge de honte, elle traversa le bus et s’assit à côté de moi. Pour une fois, c’est moi qui pendant le trajet la regardais. Elle avait des yeux noirs et fins sans aucune trace de maquillage. Son nez décrivait une jolie courbe jusqu'à ses fines lèvres roses. Ses joues rouges laissaient apparaître sa gêne de tout à l’heure, ce qui la rendait encore plus craquante, et son visage était à moitié caché par une belle chevelure noire et ondulée. Elle me faisait une impression étrange, quelque chose que je n’avais jamais ressenti auparavant. J’aurais aimé la regarder plus attentivement mais le bus venait d’arriver devant la fac. Je me levai, elle me laissa passer, mais avant que je ne franchisse la porte elle attrapa ma main gauche, fit glisser un anneau à mon doigt, me murmura « ce sera toi » d’une voix mystérieuse et me poussa hors du bus. Je voulus remonter, mais les portes venaient de se fermer et le bus démarra. Je la cherchai des yeux mais je ne la trouvai nulle part : elle avait disparu…
Je me mis à courir à perdre haleine derrière le bus pour avoir des explications ou pour simplement la revoir, mais peine perdue, il avait déjà des longueurs d’avance. Déçu, j’abandonnai ma course-poursuite pour aller en cours. Oui, malgré tous les événements bizarres et mystérieux, l’heure tourne et malheureusement, les cours ne vous attendent pas !
Perturbé, je rentrai dans l’amphi, me mis bien au fond à côté des radiateurs, là où la voix du prof n’est que murmure, et me mis à observer attentivement cet anneau. Apparemment il était en argent. C’était un anneau basique, à la différence près que je n’arrivais pas à l’enlever ! C’était certainement dû à l’épaisseur de mes doigts. « Ce sera toi… ». Cette phrase raisonnait dans ma tête. « qu’avait-elle voulu dire ? Et c’était quoi cet anneau ? Et pourquoi moi ? » Des dizaines de questions commençaient à me torturer les méninges; j’étais énervé, très énervé. Pour me détendre, enfin plutôt pour essayer de me calmer, je cherchai dans ma trousse un critérium pour donner forme à toutes mes questions, et essayer de trouver un sens à ce qui s'était passé ce matin…
La journée passa comme toutes les autres ou presque: au lieu de dormir en cours, je réfléchissais à cette fille. Je gribouillais sur ma feuille diverses hypothèses sur ce maudit anneau, mais quoi que je fasse, je finissais toujours par dessiner le visage de cette mystérieuse inconnue. « Pourquoi est-ce toujours aussi compliqué avec le sexe opposé ? »
Lorsque le vieux professeur dégarni commençait à ranger ses affaires, il était temps de filer ! Les six-cents étudiants se ruaient vers la sortie, tandis que moi, je sortais en dernier pour être sûr de ne pas être bousculé ni piétiné par cette foule d’inconnus. De toute façon personne ne m’attendait dehors, je n’avais pas d’amis ici. J’en avais déjà peu au lycée où les classes, petites, favorisaient les relations, alors en fac, le peu était devenu inexistant ! La seule personne de mon âge qui m’avait adressé la parole depuis un mois, c’était la fille de ce matin. J’espérais la revoir dans le bus, mais rien, personne, jusqu'à ce qu'une petite fille vienne s'installer à côté de moi ! Par chance, elle au moins sentait les friandises et resta calme jusqu'au moment de partir. Elle sauta de son fauteuil se dirigea vers la porte et d’un coup se retourna, me regarda avec un grand sourire et dit : « Faudra essayer de l’ouvrir tu sais !». En sortant du bus, elle me fit un signe de la main, et là, stupéfaction, sur sa main gauche un anneau en argent ! Non ça ne pouvait être qu’une coïncidence ! Je la cherchai du regard mais elle aussi avait disparu. Non pas par magie, mais derrière un grand bâtiment. Je ne comprenais toujours rien: « ce sera toi », « faut essayer de l’ouvrir tu sais ! »... C’est quoi que je dois ouvrir bordel ? pensais-je, énervé. Moi de nature si calme ! Je n’aimais pas ne pas comprendre ! Pour ne pas devenir complètement fou, je décidai de laisser cette histoire de côté.
Une fois sorti du bus, je marchai le long du trottoir jusqu'à une maison blanche avec des volets gris. Bien qu’il n’y ait pas d’étage, elle était relativement grande. Je poussai le petit portail qui grinçait et je regardai la nouvelle famille de rouge-gorge qui avait élu domicile sur le prunus au milieu du petit jardin. Elle semblait heureuse, bien protégée par des branches solides sans problème ni angoisse… J’ouvris finalement la porte d’entrée qui menait dans la salle à manger et me dirigeai à contrecœur dans la cuisine.
- Bonjour mon chéri, ça s’est bien passé ta journée ?
- Oui mam’ ! dis-je d’un ton monotone. Voilà comment je répondais depuis une dizaine d’années jour après jour. C’était suffisant pour elle…
- Va te laver les mains et viens à table mon choupinou !
- Oui.
Qu’est-ce que je pouvais détester ce surnom débile ! Mais bon, c’était l’une des seules marques d’affection qu’elle me donnait, alors je laissais passer !
En me regardant dans le miroir, je repris conscience de ce qui s’était passé aujourd’hui. Et j’étais fermement décidé à ôter cet anneau à l’aide de savon. Mais impossible de l’enlever ! Pourtant la fille n’a eu aucun mal à me le mettre, alors logiquement il devrait être facile à enlever ! Et bien non ! Pour la seconde fois, mon cerveau commençait à bouillonner, alors j’abandonnai et je me dirigeai vers la table où le repas m’attendait.
On était trois, ma mère, moi et la télé ! J’étais affalé sur ma chaise, mes cheveux bruns cachaient mes yeux noisette qui regardaient fixement la bouillasse verdâtre dans mon assiette. Ma mère, quant à elle, se tenait très droite, ses cheveux roux tirés en arrière, et c'étaient ses lunettes vertes qui cachaient ses yeux noirs. Certains auraient pu dire que c’était une belle femme, pour moi elle n’était rien d’autre qu’une mégère… Quant à la télé, elle était carrée, vieille et grésillante. C’est bien d’avoir une télé quand on n'a rien à se dire mais bon, subir chaque soir « Pour un corps encore jeune prenez la pilule Ila, grâce à elle, vous perdrez vos kilos en trop…- Pour des cheveux encore plus soyeux utilisez Real, parce qu’il est fait pour vous… - Un petit creux ? Qu’est-ce que vous attendez, courrez vite dans votre réfrigérateur pour déguster une merveilleuse et moelleuse barre chocolatée ! Crountch, la barre qui vous fait rêver …- Envie de voyage ? Envie de vous sentir vivre ? Adoptez la nouvelle voiture VOLVE… » C’est génial les pubs ! Ça parle de corps, bouffe et voiture ! Et si ça ne vous a pas achevé, juste après, à huit heures pétante, on entend : « La guerre continue entre les pays frontaliers. La population est la plus touchée, des centaines de femmes et d’enfants…- Un jeune homme est retrouvé mort, poignardé à dix reprises…- Un jeune Américain est entré dans son lycée et a tiré sur plusieurs de ses camarades et professeurs… - La maladie du sommeil fait de nouvelles victimes en Europe… ». C’était extrêmement gai ce soir encore ! Je préférais aller me coucher.
Une fois dans mon lit, je grignotai une barre Crountch (et oui, j’étais victime de la société de consommation !). Ma faim apaisée, je m’endormis facilement. Cette nuit encore je fis des cauchemars. J’en avais presque l’habitude, c’était comme un monde parallèle ! Mais là c’était pire, je revoyais la fille du bus, je lui courais après mais une douleur m’arrêtait : c’était l’anneau qui me compressait le doigt. La gamine surgissait d’un coup en me faisant tomber dans une sorte de brume. J’apercevais des choses étranges, des ombres qui bougeaient, qui hurlaient ! « AHHHH !» hurlais-je. Mes oreilles ! Du sang coulait contre ma nuque. Je me débattais mais rien à faire quelque chose m’enveloppait, c’était doux et brûlant à la fois. Je souffrais, cette douleur était atroce… « OUVRE-TOI !» criai-je. Je ne savais pas pourquoi, c’était sorti de mes entrailles qui se convulsaient de douleur.
Je m’envolais, non plutôt je flottais au-dessus de la brume, l’anneau s’enleva de mon doigt et s’agrandit de plus en plus. Il avait maintenant la taille d’une porte. Je pouvais voir, à travers, quelque chose de flou, on aurait dit de l’eau qui ondulait. Comme absorbé, j’avançai d’un pas sûr et passai ma main au travers de la porte. « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! Ça brûle, c’est abominable ! ». Une douleur effroyable me parcourut le corps. C’était comme si quelque chose avait pénétré mon corps et avançait le long de mes veines en déchirant ma peau. La douleur irradiait mon abdomen. Suffoquant, j’entendis ma mère taper à la porte en criant « Oh! Tu vas te calmer, j’essaye de dormir MOI !» La réalité m’aspira hors de ce cauchemar ! Je me réveillai en sursaut, couvert de sueur. Le choc avait chassé l’air de mes poumons. Autour de moi, je ne voyais que des ombres floues, flottant à la périphérie de mon champ de vision. Je restai étendu et je m’efforçai de reprendre mon souffle, en proie à un effroi si grand que j'en oubliai la douleur. Mais elle me rappela à l’ordre quand j’essayai de me lever du lit. J’étais paralysé. Jamais de ma vie je n’avais eu si mal. « Comment un simple rêve peut être aussi réel ? »
Allongé sur cette table de torture, j’avais peur de me rendormir. « J’ai peur». C’était si dégradant de dire ça. « Zack, dix-huit ans, a peur de dormir à cause d’un simple petit cauchemar ! ». Pourtant, un cauchemar n’était pas censé faire mal physiquement. Pfff, je suis peut-être encore en train de rêver ! espérai-je. Pas besoin de me pincer, j’avais déjà mal rien qu’en levant le petit doigt ! J’aurais aimé que quelqu’un soit là, près de moi. Je ne pouvais pas compter sur ma génitrice, elle m'aurait fait un scandale et ne m'aurait pas cru. Je voyais ça d’ici : « QUOI ? Tu me réveilles encore pour ces conneries ! ». La seule personne que j’aimais dans cette famille, c’était Lysi, ma petite sœur, mais en ce moment, elle était chez ma grand-mère. Ma génitrice faisait, en effet, tout son possible pour l'éloigner de moi. Pourquoi ? Je ne le savais pas. Ma mère aimait Lysi, alors elle pensait peut-être que j’étais un mauvais exemple pour elle. Pourtant ma sœur était tout pour moi, et elle m’adorait. Je n’ai jamais compris pourquoi ma mère ne m’aimait pas. Pendant des années, j’avais tout fait pour être un fils modèle, mais maintenant, j’avais abandonné, je vivais ma petite vie monotone… La douleur du cœur se mêla à la douleur du corps... Des larmes coulaient le long de mes joues, je fermai les yeux et finalement me rendormis dans mes tourments.
Didididit didididit… Argh ! Saleté de réveil ! Il était 6 h 30, il fallait que je me lève. J’ouvris mes yeux laborieusement, une araignée me salua au-dessus de mon lit étroit. Ma chambre était relativement petite, parsemée de quelques caleçons, livres, cours et chaussettes par-ci par-là, parce que je n’avais qu’un bureau comme seul et unique meuble. Mais bon, je n’avais pas à me plaindre, je ne vivais pas dans un placard sous un escalier.
Péniblement, je me mis debout. Chaque muscle de mon corps me faisait souffrir, j’en découvrais même des nouveaux ! Devant le miroir, je remarquai le sang séché autour de mon cou et de l’anneau. « Comment j’ai pu faire pour me mettre dans un tel état ? » murmurai-je tout en essayant de me nettoyer. J’avais trop mal à la tête pour réfléchir, mais lorsque je regardai ma montre, je fus surpris de voir que j’étais déjà en retard. Alors, à toute vitesse, j’enfilai mes vêtements qui trainaient par terre, j’attrapai le paquet de gâteaux qui était sur mon bureau et je courus à toute allure jusqu'à l’arrêt du car.
Dans le bus, je ne vis ni la fille ni la gamine. La place à ma droite restait inoccupée, mais à la vue de ma tête dans la vitre du bus, je pouvais comprendre pourquoi ! Mes yeux étaient rouges vifs, j’avais des cernes de cinq centimètres et mes cheveux étaient collés contre ma nuque à cause du sang que je n’avais pas eu le temps de nettoyer complètement. Je faisais peine à voir… Je sortis du bus, rien d’inhabituel. Les cours se passèrent normalement. Je rentrai chez moi de la manière la plus banale et ce fut seulement en ouvrant la porte de la maison qu’il se passa quelque chose… A peine avais-je eu le temps d’en franchir le pas qu’une petite tête rousse me sauta dessus !
-Lysi, que je suis content de te voir, ma petite sœur adorée ! m’écriai-je très surpris, mais heureux.
- Tu m’as manqué, grand frère ! Maman est partie chez la voisine, alors je peux te parler autant que je veux ! expliqua-t-elle avec un grand sourire.
- Toi aussi tu m’as manqué ma puce, murmurai-je en la serrant dans mes bras. Mais tu sais que tu as plein de chocolat sur la bouche !
- Oups, j’avais un petit creux alors j’ai dévalisé les barres chocolatées. Tu veux quand même que je te fasse un bisou ?
- Bien sûr !
Il n’y a qu’avec elle que j’avais des débordements affectifs ! Elle était si mignonne avec ses petites bouclettes rousses, ses tâches de rousseur, et ses yeux vert émeraude. Du haut de ses huit ans, elle était certainement la plus belle, la plus souriante, la plus adorable de toutes les petites filles !
Malheureusement, nos instants de bonheur profond furent vite arrêtés par le grincement du portail qui laissait présager l’arrivée de notre mère. Lysi savait que si elle nous trouvait ensemble, elle me punirait d’une façon ou d’une autre, alors elle me déposa un baiser sur la joue et se dépêcha de rentrer dans sa chambre au fond du couloir et moi dans la mienne, à l’opposé… Malgré le peu de temps que nous avions eu pour nous, j'étais enivré de bonheur. Mais cela changea bien vite lorsque ma mère entra dans ma chambre quelques secondes plus tard.
- Chéri, il faut que je te parle de choses importantes. Maintenant que tu as dix-huit ans, il faudrait penser à prendre ton indépendance, dit-elle d’un ton faussement agréable.
- Que veux-tu dire ? répliquai-je d’une voix acerbe.
- Ce n’est pas méchant choupinou, je veux juste que tu partes de la maison pour te trouver un petit appartement sympa où tu pourras vivre ta vie d’adolescent. Tu pourras toucher des bourses et en cas de problème tu arriveras bien à te débrouiller tout seul comme un grand !
Elle partit de ma chambre d’un pas vif qui insinuait « ça ne sert à rien de discuter, soit tu pars de ton plein gré, soit c’est moi qui te mets dehors, espèce de vaurien ! ». Je savais qu’elle ne pouvait pas tenir de tels propos à haute voix, car c’était une « mère parfaite et bien élevée ». Elle crevait d’envie de me jeter dehors depuis longtemps, ce n’est que maintenant que je comprenais pourquoi elle ne l’avait pas fait avant. Oui, avant je n’étais pas majeur donc cela aurait été mal vu qu’elle me mette dehors. De plus, je touchais l’argent des bourses maintenant, plus ma mère. Moi qui espérais qu’il lui restait un soupçon d’amour maternel pour son fils, et bien là, c’était loupé !
Ma seule source de bonheur venait de disparaître à jamais ! Dans moins d’un mois, je devrais quitter la maison, ce qui signifiait dire au revoir à Lysi… Ma mère me congédia dans ma chambre pour le souper, mais je n’avais aucunement l’envie de manger. Je m’endormis allongé sur mon lit, encore habillé et chaussé. Je préférais sombrer dans mes cauchemars plutôt que dans la pensées d’un futur solitaire, dénué de toute tendresse… oui, seul avec un anneau bizarre, donné par une fille étrange...
- Bonjour, Zack.
-Hein ? Qui me parle ? Où suis-je ? Je ne connais pas cet endroit, tout est si blanc… Je suis… mort ?
-Mais non idiot ! Tu es dans le monde des rêves, enfin devant l’entrée ! Tu as pensé à moi en t’endormant, alors j’ai répondu à ton appel, expliqua-t-elle d’une voix posée.
-Mais tu es la fille du bus qui s’est prise la barre en fer !
-Oui, mais ça tu aurais pu l’oublier ! rétorqua-t-elle.
-Donc si je récapitule, je rêve de toi, et tu peux me répondre… Comment ça se peut ? Jusqu’à preuve du contraire, tu n’es que le fruit de mon imagination !
-Non, je peux interagir dans les rêves grâce à cet anneau... - elle me montra sa main gauche et je vis un anneau identique à celui qu’elle m’avait glissé au doigt - et toi aussi tu peux maintenant, car tu as le même.
-Hein ? C’est quoi cette histoire ? Ce n’est pas possible de pouvoir entrer dans les rêves ! Et c’est quoi cet anneau infernal ? A cause de lui mes cauchemars me font souffrir le martyr, je comprends rien, j’en ai marre ! Qui es-tu ? Et qui c’est la gamine du bus ? C’est quoi cette porte et pourquoi moi ? hurlai-je de toutes mes forces. Je tremblais, j’étais encore sous le choc des événements du soir.
-STOP! D'abord, calme-toi, je vais tout t’expliquer ! Je m’appelle Tylia, j’ai dix-huit ans et je suis une chasseuse d’âmes !
-Une quoi ?
-Une chasseuse d’âmes ! Et s’il te plaît, ne m’interromps plus ! C’est assez compliqué à comprendre, alors laisse-moi aller jusqu’au bout de mes explications. Je suis une élue, comme toi et la petite que tu as rencontrée dans le bus. On nous a envoyés en mission pour trouver d’autres élus. Je l’ai senti en toi dès que je t’ai vu. Nous avons deux vies, la vie réelle et les rêves. l’anneau nous permet d’ouvrir une porte si on le lui demande. Le problème, c’est que pour traverser la porte, il faut montrer notre courage et notre détermination. Mais une fois que tu as prouvé ta motivation, traverser la porte est simple. Dès qu’on l’a franchie, on tombe dans un monde parallèle, le monde des rêves. Très peu de gens peuvent le contrôler en dormant, mais nous, nous avons une capacité spéciale qui nous permet d’interagir avec les pensées des autres, et de les contrôler ! Bien sûr, ce n’est pas un jeu, et c’est très dangereux ! Tu as déjà entendu parler de la maladie du sommeil ? demanda-t-elle d’une voix claire.
- Oui aux infos, c’est une sorte de coma causé par des chocs émotionnels touchant les pays développés, répondis-je d’un ton peu sûr et perplexe.
- En effet, mais ça c’est la version officielle ! En fait, certaines personnes se laissent embrigader dans leurs rêves. On ne sait pas pourquoi ni comment, mais quelque chose les manipule. Ils s’endorment et ne se réveillent plus. Notre rôle est de pénétrer dans leurs rêves pour retrouver leur âme et les faire revenir dans le monde réel. Malheureusement, beaucoup de chasseurs se sont fait piéger dans les rêves des autres et sont tombés dans un coma plus catastrophique encore. C’est pour ça qu’on cherche de nouveaux chasseurs ! Car si ça continue, il n’y aura plus personne pour sauver les âmes. Autrefois, les chasseurs d’âmes était entraînés et plus vieux que nous. A présent, tous ceux qui ont un minimum de pouvoir sont envoyés directement dans la porte, même les petits d’à peine dix ans ! finit-elle d’une voix triste.
Je n’éprouvais pas la moindre tristesse car pour moi, tout ceci était un canular de mon imagination. La preuve, cette dénommée Tylia avait à présent une chevelure avec de magnifiques reflets bleu, et elle était vêtue d’un corset noir à ruban rouge qui laissait apparaître le commencement de sa poitrine… ce qui me fit rougir. Mais ce n’était pas fini ! Elle portait une jupe rouge à rayures noires, assez courte pour réveiller les fantasmes de n’importe quel jeune homme. Assorties à cela, elle avait des guêtres avec des chaussures assez étranges, ses cheveux descendaient sur ses épaules nues. Et son visage sérieux la rendait encore plus magnifique. La parfaite héroïne de manga qui faisait rêver tous les ados (dont moi bien sûr !).
- Je ne te crois pas, tu n’es qu’un de mes fantasmes ! Bizarre comme fantasme d’ailleurs... plaisantai-je.
- Ce n’est pas un rêve ! Enfin si, mais ce que je te dis est réel ! Je t’en prie fais-moi confiance, on a besoin de toi !
- Ouais, alors tu peux me dire pourquoi tu es habillée aussi sexy et extrêmement aguichante, ce qui est le contraire des vêtements que tu portais dans le bus ? Ce n’est qu’un rêve, un point c’est tout ! répliquai-je.
- Quoi ?! cria-t-elle rouge de confusion. Non, c’est mon costume ! Espèce de pervers, comment oses-tu me manquer de respect à ce point ?
Je ne pus m’empêcher de rire en la voyant gesticuler, tirer sur sa jupe pour qu'elle paraisse plus longue, remonter son corset et proférer des menaces en l’air.
- Abruti ! Moi je te parle d’un sujet très grave et toi tu te fous de moi ! Tu n’es qu’une andouille bornée et effrontée !
Je rigolais de plus belle, quand une main me tira le bras, et me propulsa une fois de plus dans le monde réel avec des douleurs au ventre, mais cette fois-ci c’était à cause de mon hilarité.
-Grand frère réveille-toi, je n’arrive pas à dormir ! Tu veux bien me lire ce livre s’il te plaît? Après, promis, je ne t’embête plus, murmura Lysi.
- Ne t’inquiète pas petite sœur, cela ne me dérange pas. Et je veux même que tu dormes avec moi, si tu en as envie bien sûr, marmonnai-je, endormi.
- Mais maman, elle va se fâcher !
- Non ne t’inquiète pas ! Allez grimpe que je te lise ton histoire !
- Youpi ! s’écria-t-elle en mâchouillant une barre Crountch.
- Tu sais que tu devrais arrêter de manger ces cochonneries !
- Tu peux parler Zack ! Il y a des papiers de gâteaux sous ton lit !
- Ça y est je suis découvert ! Installe-toi confortablement si tu veux que je lise ton livre. Alors, il était une fois, une magnifique princesse enfermée dans la plus haute tour d’un vieux château. Elle attendait le valeureux prince qui viendrait la secourir en affrontant de multiples dangers pour prouver son amour à la belle princesse…
- Tu sais Zack, c’est toi mon prince, dit-elle en bâillant.
A peine quelques minutes plus tard, Lysi, lovée dans mes bras, s’endormit, et je ne tardai pas à la rejoindre. Je savourais ce moment en sachant pertinemment que ma mère me jetterait dehors le lendemain…