La pièce était joliment meublée. Une grande armoire se dressait contre un mur, juste à côté d'une commode en bois placée sous une fenêtre qui laissait passer les rayons du soleil levant. La chambre aurait pu paraître grande si elle n'avait pas été aussi en désordre : partout traînaient des livres, empilés, enroulés sur eux-mêmes, ou bien abandonnés sur le plancher ciré. Une immense bibliothèque débordait de gros ouvrages et de magazines portant des noms aussi divers que
L'élevage des Pokémon,
Étude des différentes espèces de Pokémon ou encore
Le Mensuel du dresseur. Autant de titres qui clamaient, sans contestation possible, que l'occupant de la pièce adorait les Pokémon.
Une voix retentit soudain derrière la porte de la chambre.
« Allez, Kirya ! Il est temps d'aller à l'école ! Debout ! »
La bosse que formait la dénommée Kirya, enfoncée dans ses draps, remua. La petite fille poussa un grognement ensommeillé qui parut convaincre le propriétaire de la voix qu'elle s'était effectivement réveillée : on entendit le bruit de ses pas s'éloigner, puis disparaître. Un bras mince et pâle émergea alors des couvertures et tâtonna quelques instants dans le vide avant de rencontrer le crâne d'une petite créature au pelage ras bicolore et au dos parcouru de flammèches grésillantes : un Héricendre.
« Allez, Kumos, on y va », marmonna-t-elle en tapotant délicatement la tête de l'animal.
Le Pokémon, pour toute réponse, bâilla la bouche grande ouverte en découvrant de petites dents étincelantes. Kirya sourit.
La petite fille sortit avec difficulté de son lit, laissant apparaître une chevelure noire et lisse, un visage fin, enfantin, et des yeux d'un bleu profond, suivis ensuite par un corps mince recouvert d'un pyjama ample, couleur de l'azur. Elle s'assit sur le matelas et fourra dans la poche du jean qu'elle allait mettre ce jour-là la Poké Ball vide de Kumos. Elle observa brièvement la rue depuis sa chambre en se penchant par la fenêtre, qu'elle venait d'ouvrir pour aérer. Les gens étaient en train de se lever dans la petite ville d'Ekalya, où elle habitait. Elle arracha à regret son regard du magnifique lever de soleil qui teintait le ciel de flammes et s'engagea dans le couloir qui bordait sa chambre à l'étage. Elle dévala les escaliers, suivie de près par Kumos, et entra dans la cuisine où l'attendait sa mère.
« Dépêche-toi, enfin ! Tu vas encore arriver en retard ! la gronda-t-elle.
— Je ne suis pas pressée de partir, tu sais... » répondit mollement Kirya.
Sa mère, ses longs cheveux bruns noués en une grande tresse, s'affairait à préparer le petit-déjeuner de Kirya et de son Héricendre.
« Tu devrais être contente. J'adorais y aller, à l'école, quand j'étais petite, lui dit-elle pour la réconforter.
— Tu ne peux pas comprendre si tu ne me crois pas, maman », répliqua Kirya.
Sa mère ne répondit pas et se contenta de lui tendre un bol rempli de lait chaud chocolaté accompagné de trois croissants dorés. Ensuite, elle se retourna, attrapa sur le plan de travail une gamelle pleine d'aliments pour Pokémon et la posa par terre. Kumos se jeta dessus tandis que sa maîtresse s'asseyait à table et entamait un des croissants. Quelques minutes plus tard, le bol, complètement vide, atterrissait sur l'évier.
Kumos n'avait même pas fini de manger que Kirya fila à la salle de bains pour se débarbouiller. Elle s'habilla avant de retourner à la cuisine pour saluer sa mère.
« J'y vais, à ce soir... murmura Kirya d'une voix éteinte. Kumos, allez, viens ! »
L'Héricendre s'empressa de la rejoindre et elle quitta sa demeure pour s'engager sur la route de l'école, accompagnée de son Pokémon et son cartable sur le dos. Le ciel était dégagé et le soleil brillait bien fort, malgré les quelques nuages blanchâtres qui couraient sous la brise automnale, certainement les vestiges de la pluie de la veille. La route était tranquille, même aux heures de pointe, et, rapidement, les maisons disparurent pour laisser place, à gauche, à un immense champ d'épis jaune et or et, à droite, à une petite forêt. Kirya s'arrêta sur le bord du chemin et consulta sa montre : il était huit heures moins le quart. Finalement, elle était en avance : elle avait encore cinq minutes de marche avant d'arriver à l'école, elle avait du temps devant elle. Elle s'assit sur un des gros rochers qui bordaient la route et observa distraitement les arbres de la forêt secoués par le vent après s'être délestée de son sac à dos.
« Encore une mauvaise journée en vue, Kumos... soupira-t-elle finalement, s'adressant à son Pokémon.
— Pourquoi ils ne te croient pas, les autres ? Tu me parles, je te réponds, mais ils te prennent quand même pour une folle ! » s'exclama l'Héricendre, indigné.
Kumos venait de parler à sa maîtresse et celle-ci l'avait parfaitement compris. Kirya arrangea ses longs cheveux d'un noir de jais en regardant de ses yeux bleus son ami.
« Tu sais, Héricendre, pour un humain, ce n'est pas normal de comprendre les Pokémon. C'est pour ça qu'ils me prennent tous pour une folle.
— Ils sont bêtes puisque tu ne l'es pas ! répondit l'Héricendre qui ne comprenait visiblement pas les histoires stupides des humains.
— Même maman ne me croit pas... soupira Kirya. Je n'ai rien demandé, moi, et je me retrouve avec ce fichu don !
— Mais si tu n'avais pas eu ce don, comme tu dis, tu n'aurais jamais pu me parler », répondit Kumos.
Elle acquiesça tristement en poussant un nouveau soupir. Attrapant la poignée de son cartable, elle parcourut rapidement le peu de chemin qu'il lui restait avant d'arriver à l'école. Bientôt, les bâtiments gris et tristes de l'établissement apparurent au loin. Cela ne faisait qu'une semaine qu'elle avait pénétré pour la première fois à l'intérieur et elle le détestait déjà, ce vieux tas de béton sale. Kirya fit rentrer à regret Kumos dans sa Poké Ball après lui avoir dit au revoir — les Pokémon en liberté étaient interdits dans la cour de récréation — et passa le portail rouillé aux extrêmités duquel se trouvaient deux piliers en briques, l'un d'entre eux arborant une plaque rendue presque illisible par le temps : on y déchiffrait les mots « École des Dresseurs ». Résignée, Kirya s'engagea sur le bitume de la cour la tête basse. Quelques-uns de ses camarades se retournèrent et la toisèrent d'un air méprisant, certains lui lancèrent même quelques quolibets qu'elle décida d'ignorer. Elle voulut s'asseoir sur un banc, mais en remarquant qu'aucun d'entre eux n'était libre, elle se contenta d'errer jusqu'à ce que la sonnerie retentisse enfin. Elle consulta rapidement son emploi du temps, qu'elle ne connaissait pas encore par cœur, et constata que son premier cours de la journée se déroulerait dans le gymnase de l'école et aurait pour thème les combats de Pokémon. Au moins, elle pourrait revoir Kumos.
Dommage que ce soit pour des combats, pensa-t-elle. Elle avait beau n'avoir jamais fait de matches Pokémon, elle était presque certaine qu'elle n'apprécierait pas l'expérience.
* *
*
Lorsqu'elle pénétra dans le gymnase, Kirya constata qu'elle était la première arrivée. L'endroit était immense et chaque bruit s'y répercutait en un retentissant écho. Le silence était malgré tout total, mis à part le bruit que faisait le professeur en préparant le vidéoprojecteur pour, probablement, montrer des diaporamas à ses élèves. L'homme se retourna : il avait les yeux bruns et le visage carré, et il arborait un sourire avenant. Il fit signe à sa nouvelle élève de le rejoindre et Kirya s'empressa d'obéir, se demandant si ce professeur qu'elle n'avait encore jamais rencontré allait être gentil. Parvenue à sa hauteur, elle le salua :
« Bonjour, professeur !
— Bonjour. Comment t'appelles-tu, petite ? lui demanda-t-il poliment.
— Kirya, monsieur.
— Tu peux m'appeler Patrick », dit-il.
Kirya opina. Elle hésita un instant avant de demander :
« Euh... Puis-je faire sortir mon Pokémon de sa Ball ? »
Patrick hocha la tête.
« Pas de problème, tu peux y aller. »
Ravie, la petite fille prit la Poké Ball de Kumos dans sa poche et la lança au sol. Un rayon de lumière rouge aveuglante en sortit et l'Héricendre apparut peu à peu. Il s'ébroua avant de regarder autour de lui d'un air attentif.
« On est où, Kirya ? lui demanda-t-il, dubitatif. C'est drôlement grand.
— C'est le gymnase de l'école, répondit-elle. C'est là que tu vas t'entraîner au combat.
— Super ! s'exclama Kumos.
— Tu aimes les combats ? s'étonna sa dresseuse.
— Euh... Ça doit sans doute être le lot commun de tous les Pokémon, non ?
— Tu dois avoir raison », admit-elle.
Patrick observait Kirya d'un air curieux. Il était probablement surpris de voir que cette petite fille pouvait converser si aisément avec son Pokémon. Il regarda alternativement Kirya et Kumos et sembla décider que ce n'étaient pas ses affaires. La petite fille lui adressa un remerciement muet : à force de subir des moqueries, elle avait fini par apprécier qu'on ne s'intéresse pas trop à elle.
Mais en se retournant, elle constata que les autres élèves arrivaient peu à peu et que c'était peut-être pour cela qu'il avait décidé de ne rien dire. Un peu déçue, elle attendit avec les autres que le professeur prenne la parole. Il se tenait debout et faisait face à ses élèves. D'un signe de la main, il invita la classe à aller s'asseoir sur les gradins qui bordaient le gymnase. Tous s'exécutèrent. Kirya décida de se placer tout en haut ; elle laissa une place pour Kumos à côté d'elle. L'Héricendre s'empressa de l'occuper et s'assit sur le siège en fixant Patrick du regard. Aucun autre élève n'avait pris l'initiative de laisser sortir leurs Pokémon de leurs Poké Balls. Kirya s'en étonna un instant, mais la voix du professeur coupa court à ses pensées.
« Tout le monde est là ? demanda ce dernier d'une voix forte — les élèves scandèrent tous ensemble un même “oui”. Bien. C'est votre premier cours de combats Pokémon, nous allons donc apprendre les bases. »
Patrick récupéra derrière les gradins une immense perche terminée par un crochet et marcha jusqu'au centre du gymnase. Il leva en l'air le bâton et attrapa avec l'extrémité d'un gigantesque écran enroulé sur lui-même. Il le maintint au sol à l'aide d'un autre crochet, puis il fila vers un ordinateur posé sur une petite table, juste à côté. Quelques clics plus tard, l'image de trois Pokémon se trouva projetée sur l'écran : l'un était vert avec un bulbe, un autre était orange avec une flamme au bout de la queue et un dernier, bleu, était doté d'une carapace à l'air solide. Ils étaient placés en triangle et reliés par des flèches colorées.
« Voici le triangle des types, annonça Patrick avec un sourire. Les trois Pokémon que vous voyez sont Bulbizarre, Salamèche et Carapuce. Nous les utilisons très souvent pour nos exemples, car leurs types s'y prêtent très bien. Qui peut m'en dire plus ? »
Un garçon au teint bronzé leva une main timide et prit la parole :
« Je crois que... Bulbizarre bat Carapuce, car les plantes absorbent l'eau... que Carapuce bat Salamèche, car l'eau éteint le feu... Et Salamèche bat Bulbizarre, car le feu brûle les plantes.
— Excellente réponse ! » s'exclama Patrick.
Le garçon se rengorga. Kirya était très attentive et refusait de perdre une seule miette du cours. Même Kumos semblait intéressé par le schéma, bien qu'il ne comprenne pas un mot de ce que disait le professeur. Celui-ci continua :
« Il existe de nombreux autres types qui ont chacun un rapport de force ou de faiblesse par rapport aux autres. Certains de ces rapports ne sont pas évidents, il vous faudra donc bien travailler pour les retenir. Nous allons dès maintenant nous y mettre. »
Quelques clics plus tard, une nouvelle diapositive apparaissait, représentant différents Pokémon de formes et de tailles variées, numérotés de un à dix-sept.
« Sur cette image, vous voyez un représentant de chaque type de Pokémon. Quel est le type du premier Pokémon ? »
Il s'agissait d'un énorme Pokémon bleu et beige qui semblait endormi profondément.
« C'est un Ronflex, monsieur, et il est de type Normal, lança une fille.
— Parfait ! Qui pour le deuxième ? »
Le cours se prolongea ainsi pendant une heure entière avant que la sonnerie ne retentisse.